Manipulation en milieu professionnel – Partie 1

Sans titre 1

Tel un loup dans la bergerie, ma responsable est arrivée dans le service en janvier 2016, pour un remplacement de deux ans.

Employée suffoquant dans une structure où je ne trouvais pas ma place, j’étais alors ouverte au changement, à l’air frais qu’elle avait dans les poumons et qu’elle pouvait insuffler. Quarantenaire dynamique venue d’une autre région, ayant plaqué mari et enfants pour obtenir ce poste : En voilà de la détermination, du volontarisme, de l’investissement personnel, de l’ambition professionnelle !

Il nous avait été confié qu’elle n’avait malgré tout pas été le premier choix. Loin de là, elle avait même était le dernier, la seule qui ait maintenu sa candidature. Tous les autres prétendants avaient abdiqués avant d’essayer. Pas grave, je place malgré tout mes espoirs sur ses frêles épaules.

Ce que je ne savais pas, du haut de mes 23 ans, c’est que son arrivée sonnait la naissance d’une nouvelle ère. La désagréable expérience de la manipulation en milieu professionnel.

Chapitre 1 : Le loup est dans la bergerie

Face à elle, deux brebis galeuses : Ma collègue et moi.

L’une est dans le service depuis plusieurs années. Son professionnalisme n’est plus à démontrer. Elle a été le fidèle bras droit de l’ancienne responsable, jusqu’à en devenir son ombre. Complexée par son “chochotement”, elle dissimule une crainte à communiquer, qu’elle camoufle ou surmonte au mieux, mais le manque de confiance en elle est évident.

L’autre est une petite jeunette qui à tout l’air d’avoir été écrasée par les attentes inassouvibles d’une ancienne responsable mal dans sa peau. Elle marche le dos vouté, baisse les yeux et se cache derrière ses cheveux. Elle fuit. Elle ne croit plus en elle et, elle aussi, est marquée par une crainte à communiquer, forgée par la peur d’être une nouvelle fois blâmée pour avoir mal fait, encore et toujours.

Je suis l’Autre. Je suis la seconde brebis galeuse.

Bref deux bêtes aux sens altérés et au pas claudiquant, en quête du berger qui saura leur montrer le bon chemin. Et un loup qui se délecte de ce repas qui lui est offert. Ses premiers mots à leur encontre seront : “Vous ne m’écraserez pas”. Le ton était lancé. Sa stratégie était dessinée. “Le loup et les deux brebis” : Un titre digne des fables de la Fontaine. Quand la fiction devient réalité.

La stratégie première du loup est de se faire passer pour le berger et d’appâter une des brebis pour renverser le rapport de force.

Les deux brebis s’étaient en effet promis de rester soudées face à cette nouvelle venue. Or il est de coutume qu’un trio se décompose en “2+1”. Le loup avait donc à cœur de rompre l’alliance établie et prendre une brebis sous sa coupe. Il a alors jeté son dévolu tout naturellement sur la brebis la plus alerte, celle qui tiendra le plus longtemps la route : Il lui faut un bâton solide pour entamer ce nouveau périple. Ma collègue croquait naïvement dans l’appât et se retrouvait enlacée entre ses griffes.

Avant, nous étions les deux assistantes de la responsable. Désormais, ma collègue serait la seule et l’unique. C’est décrété, assumé, crié sur tout les toits. Elle serait SON assistante et je serais LA secrétaire du service. Vous remarquerez l’emploi du possessif dans une formule, mais pas dans l’autre.  Elle serait SA confidente, et je serais réduite à celle qui fait des tableaux Excel et retape au propre ses comptes-rendus.

Avant, ma collègue arrivait à 7h45 et prenait le temps de fumer une cigarette avec les collègues, le sourire aux lèvres, pendant que le jour se dévoilait. Elle s’installait à son bureau à 7h53 pour être prête et opérationnelle à 8h00, en bonne employée consciencieuse. Désormais, ma collègue irait chercher la responsable chez elle en voiture (cette dernière scandant capricieusement, avec une moue boudeuse, qu’elle n’aimait pas faire ses 10 minutes de trajet à pieds). Elles arriveraient toutes deux avec 20 minutes de retard, s’installeraient dans leurs bureaux avec de grands éclats de rire, passant devant mon bureau en omettant de dire bonjour à la “troisième roue du vélo”.

Le pacte initial était donc rompu et le rapport de force inversé. Le tout sonnait sa première victoire. Le début d’une amitié pour les unes, le glas d’une pesante solitude pour l’autre. L’Autre. Désormais, je serai l’Autre.

Chapitre 2 : Première brasse, première tasse

Je me suis donc renfermée, comprenant qu’un lien se tissait entre les deux mais pas avec moi. Ma responsable a malgré tout humé la pointe d’espoir qui restait en moi. L’espoir qu’on vienne me prendre par la main et qu’on me fasse entrer dans la danse.

Un matin, elle est entrée dans mon bureau, accompagnée de celle qui était désormais son fidèle valet. Elle voulait parler de notre ancienne responsable. Celle qui nous a laissé sa plante verte qu’elle avait reçu pour ses 18 ans, en nous demandant de nous en occuper jusqu’à son retour. Celle qui nous a laissé une liste des tâches à réaliser, juste avant son départ. Celle qui nous envoyait des mails depuis quelques jours pour savoir comment cela se passait en son absence. Celle qui a tout fait pour laisser encore son empreinte. Je participe à la conversation en formulant un avis très rationnel et le plus objectif possible.

Elle me coupe alors : “Je sais ce que vous avez vécu avec elle”. Je me tais et je rougis, surprise par cette phrase aussi violente qu’inattendue. Elle renchérit, le regard planté dans le mien : “Inutile de rougir, je vois bien que cela vous procure une émotion. Je sais ce que vous avez vécu avec elle”.

Et je pleure. Les larmes sortent. Celles qui pesaient sur mes joues depuis si longtemps. Car oui, j’ai vécu des choses avec mon ancienne responsable.

J’étais incapable de répondre à ses attentes. Elle nous envoyait par mail une liste des tâches de 40 points à faire en un délai record. Elle me demandait d’imprimer et classer mes mails, chose dont j’étais incapable, car ce n’était en rien naturel. Elle me laissait seule face à des dossiers pour lesquels je n’avais aucun outil pour les mener à bien correctement. Je me sentais incompétente, ce qui induisait une lenteur : Je préférais “ne rien faire” que de “mal faire”. Elle a fini par me demander de ne plus faire de pause avec mes collègues, car je devais optimiser mon temps. Je venais donc la boule au ventre, m’enfermer dans ce bureau, guettant le bruit de ses talons qui s’approchaient et qui annonçaient une énième charge contre moi. Elle pleurait, elle partait en arrêt maladie et embarquait tout le service avec elle pour un long voyage vers le mal-être. Jusqu’au jour où elle m’a informée que j’étais sur la sellette car la direction hésitait à me titulariser pour insuffisance professionnelle. Le coup de grâce. Je ne croyais plus en moi et plus personne ne croyait en moi.

Bref, j’ai tout déballé à cette nouvelle responsable. Elle m’a dit que cela s’appelait du harcèlement. Elle m’a dit qu’elle ferait tout pour me sauver et m’éloigner d’elle quand elle reviendrait. Elle m’a aussi demandé  pourquoi mon compagnon n’était pas intervenu pour arrêter l’hémorragie.

Ma nouvelle responsable s’est transformée en Superman en l’espace de cinq minutes. Elle a mis des mots sur un mal-être, qu’elle a su détecter avec une rapidité déconcertante.

Ce que je ne savais pas, c’est que je lui offrais du pain béni. “Tenez, et mangez en tous, ceci est mon corps, livré pour vous”.

Elle avait fait naitre dans mes yeux la flamme qu’elle attendait. Un regard qui dit à la fois “Vous êtes mon ultime espoir” et “Vous avez toutes les cartes en mains”. Ce sentiment de puissance qu’elle aime tant.

J’étais en train de me noyer et elle est arrivée sur son bateau.

Elle a tendu la main vers moi.

J’ai cru que c’était pour que je la saisisse et qu’elle me tire de l’eau.

Mais du bout des doigts, elle allait enfoncer ma tête dans les vagues. Puis elle allait me laisser remonter en surface pour que je reprenne une bouffée d’air. Parfois, elle me tendrait même le bras en me disant “Saisis ma main, je te sauve”. Et puis non finalement, j’appuie un peu pour t’immerger. Et puis si. Et puis non. On arrête ? Non, je plaisante, on continue. Tu veux jouer avec moi ?

Chapitre 3 : M’accordez-vous cette danse ?

Je voulais qu’elle me fasse rentrer dans la danse ? Me voilà servie. Elle m’a entrainée dans une valse où la culpabilisation est reine et la perversion est le plus beau pas.

Elle m’isole de plus en plus pour entretenir une relation privilégiée avec ma collègue. Mais elle me le reproche et m’indique que je m’isole toute seule et ne suis pas ouverte aux autres. Je suis sauvage et égocentrée. Elle réussit à m’en convaincre.

Elle me répète que personne n’a l’air de me connaitre, à part mes collègues proches. Alors qu’en réalité, avant ce poste, j’ai eu celui d’agent d’accueil et que j’étais à l’inverse celle que tout le monde connaissait. Je suis transparente. Elle réussit à m’en convaincre.

Elle génère mon mal-être et m’enfonce dans ce système où je rends les dossiers en retard ou avec des erreurs. Elle me dit que c’est de ma faute, et que si je ne l’alerte pas, c’est parce que je ne le veux pas. C’est parce que je ne suis pas investie dans mon travail et que je refuse d’entrer dans une cohésion d’équipe. Je suis mauvaise dans mon poste. Elle réussit à m’en convaincre.

Et pourtant, tout cela était faux.

Elle m’humilie en se moquant de ma permanente ratée pendant les pauses cigarettes. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Elle se vante ironiquement devant tout le monde de me fâcher et indique que je dois me sentir bien mieux quand elle n’est pas là. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Et tout cela ponctuait de pointes de douceur, où elle me regardait avec un regard amoureux en me disant qu’elle “avait beaucoup d’affection pour moi”.

Les montagnes russes des sentiments.

Je te déteste.

Je t’aime.

Je te déteste.

Je te déteste.

Je te déteste.

Je t’aime.

Je te déteste.

Face à cette culpabilisation et ces humiliations publiques, je continue à me renfermer sur moi-même et me persuade que je ne suis bonne à rien. Pendant ce temps, elle gagne des points auprès des autres agents, qui apprécie son humour et sa joie de vivre.

Chapitre 4 : Un week-end, une biche, un rhume

Viens alors le jour où je fais une grossière erreur sur un dossier, qui aurait pu entrainer des conséquences graves. Tout cela parce que j’ai fuis, j’ai fait l’autruche face à un soucis qui se posait et que je n’ai pas su résoudre. Et de peur de me faire encore blâmée, je n’ai pas alertée. Je suis rentrée chez moi l’air de rien, pour un week-end prolongé.

J’ai reçu quelques heures plus tard un message vocal incendiaire de sa part, m’informant des conséquences qu’auraient pu avoir mon erreur.

Je me suis effondrée sur le canapé, et j’ai pleuré face à la criante vérité qui s’imposait à moi.

Mais j’ai trouvé la force de la rappeler afin d’en discuter.

Je la découvre alors mielleuse, se confondant en excuses pour la violence du message qu’elle m’avait laissé. Tout n’était pas de ma faute et il fallait relativiser la situation.

J’ai donc savouré mon week-end, apaisée par ses mots et convaincue que l’affaire était close.

Mais mon retour fut brutal.

Tout partait pourtant d’une bonne intention de ma part : Je l’ai salué, en lui demandant si le week-end avait été bon.

Je me souviendrai toujours de son discours.

“Pour rattraper votre erreur, j’ai voulu venir plus tôt lundi. J’ai donc fait des heures supplémentaires. Par conséquent, je suis partie plus tôt de chez moi, et sur l’autoroute j’ai heurté une biche. J’ai eu beaucoup de chance dans cet accident, les dégâts ne sont que matériels. 500 € de réparations. En attendant la dépanneuse, j’ai pris froid et ai attrapé la grippe. Je n’ai donc plus de voiture, et mon mari a du prendre un des ses rares jours de RTT pour m’amener au travail. J’ai donné ma grippe à la stagiaire, qui est absente aujourd’hui. Et vous, vous avez passé un bon week-end ?”

La théorie de l’effet papillon. Le choc. Le silence. Le poids d’une culpabilité sur les épaules. Le retour d’une affaire que je pensais close, ou presque. Bref, la violence d’une fausse-joie.

Et elle allait raconter son histoire à qui veut l’entendre, en me lançant des regards noirs ou en faisant allusion à ma responsabilité. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Une fois. Deux fois. Trois fois.

Un. Deux. Trois.

Toujours le même rythme entêtant.

Une valse où la culpabilisation est reine et la perversion est le plus beau pas.

Chapitre 5 : La goutte d’eau

Je n’avais pas sa confiance, elle n’avait pas la mienne. Face au spectacle, ma collègue avait sciemment pris partie pour le plus fort. Je l’avais donc définitivement perdue, et me retrouvais bien seule.

Je continuais à m’enfoncer dans mon mal-être. A être lente car j’avais peur. A faire des erreurs car j’étais persuadée d’en être une.

Puis je rentrais chez moi et je pleurais. Parce que je n’y arrivais plus. Parce que je m’étais pris une énième charge et que c’est tout ce que je méritais.

Face à cela, mon compagnon était nerveux. Il me demandait de me ressaisir, d’aller la voir et de taper du poing sur la table. Mais j’en étais incapable. Parce que ce n’était pas dans mon caractère, que je n’avais plus la force de me faire violence et qu’après tout, ses remarques étaient légitimes. Il la maudissait et me disait “Je te préviens, je vais finir par aller la voir à ta place”.

Et un soir, il l’a fait. La goutte d’eau avait fait déborder le vase.

Il s’est présenté à l’accueil, qui l’a redirigé vers le bureau de ma responsable.

Il lui a demandé des explications : Pourquoi rentrais-je chez moi en pleurant ?

Elle a pris ses grands airs de responsable, en parlant posément, en utilisant des mots intelligents, en donnant l’illusion d’être un puit de connaissances.  Un rôle qu’elle aime jouer mais qui prête à rire quand on la connait, car cette scène transpire la comédie.

Il lui a reproché ses méthodes, qui n’avaient rien d’humaines.

Elle est sortie de ses gonds : “Vous me dites que je ne suis pas humaine ?!”.

Elle a alors alterné entre phases de colère et de calme, décontenancée par une personne qui lui tient tête.

L’échange s’est terminé. Mon compagnon est rentré à la maison.

“Tu étais où, j’essayais de te joindre ?”

Et avec la mou d’un enfant qui a fait un bêtise, il me répondit “J’étais avec elle.”

La suite est ici : Manipulation en milieu professionnel – Partie 2